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« Que faire quand le village dort ? », rencontre avec l’écrivaine sud-africaine Sindiwe Magona

 

Mardi 22 juin 2022, le public de VoVf était convié à une rencontre exceptionnelle avec l’écrivaine sud-africaine Sindiwe Magona et de sa traductrice, enseignante à l’université de Milwaukee (Wisconsin-USA), Sarah Davies Cordova, qui a permis au livre Mère à mère de nous parvenir, un texte majeur pour comprendre les crimes et horreurs de l’apartheid.

 

Par Claire Darfeuille

Sindiwe Magona (2006) © Karina Turok

« Mon fils a tué votre fille », rares sont les incipits aussi fulgurants, sans appel, irrémédiable. L’histoire que déroule ensuite Sindiwe Magona est directement inspirée de l’assassinat en 1993 de Amy Biehl, jeune Américaine blanche en mission humanitaire à Guguletu par quatre jeunes Noirs au cours d’une émeute.

L’écrivaine choisit la forme d’une lettre adressée par la mère du meurtrier à la mère de la victime, « d’un cœur blessé à un cœur brisé », comme l’écrit Christiane Taubira dans sa postface. L’ancienne ministre de la justice et femme de lettre a tenu mardi 22 juin à introduire cette rencontre en direct depuis la Guyane. Elle a salué la puissance de ce texte essentiel pour comprendre la violence du régime ségrégationniste et ses conséquences.

Sindiwe Magona, Mère à mère. Trad. de l’anglais par Sarah Davies Cordova. Mémoire d’encrier, 278 p., 19 €

L’histoire vraie d’Amy Biehl, jeune blanche assassinée à Guguletu

L’émotion suscitée par ce drame en 1993 est vive partout dans le monde. Sindiwe Magona est directement touchée, elle se trouve alors à New-York, où elle travaille à l’ONU, après un brillant parcours qui l’a menée de Guguletu, où elle travaillait comme domestique, à l’université de Columbia, par la force de sa volonté et un travail acharné pour « offrir à ses enfants une vie meilleure ».

Le nom de la mère du meurtrier la terrasse, c’est une amie d’enfance, une « saliva friend », « ainsi nomme-t-on les amis avec lesquels, enfants pauvres, on a partagé les bonbons en les croquant avec les dents », explique-t-elle. « Pour la première fois, j’éprouvais de l’empathie non pas seulement pour la victime, mais aussi pour la mère du meurtrier. Je me demandais comment elle pouvait faire face ». Trois ans plus tard, Sindiwe Magona écrit Mère à mère pour trouver des réponses à ses propres questions et tenter d’apporter des éléments de compréhension aux parents de la victime, Linda et Peter Biehl.

Après la mort de leur fille, ceux-ci créent la fondation Amy Biehl, dont l’objectif humaniste est de « créer une barrière contre la violence ». De leur côté, les quatre jeunes impliqués dans le meurtre, après avoir purgé leur peine, ont été amnistiés, dans le cadre de la Commission Vérité et réconciliation mise en place en Afrique du sud en 1995, sous la présidence de Mandela et présidée par Mgr Desmond Tutu.

Deux d’entre eux sont engagés auprès de la fondation Amy Biehl et interviennent régulièrement avec Linda Biehl, dont le mari est décédé entretemps. Ils rencontrent notamment des étudiants américains en « service », année d’engagement citoyen dans le cursus universitaire américain, accomplie au sein d’une ONG. Sarah Davies Cordova qui dirige un de ces programmes d’échange entre l’université de Marquette (USA) et l’université du Cap explique s’appuyer sur le livre Mère à mère pour préparer ses étudiants à cette rencontre.

Etudié dans les lycées en Afrique du sud, dans les universités dans sa version anglaise en Allemagne, Mother to mother, paru en 1998 et qui existe aussi sous la forme d’une pièce de théâtre, attendra 22 ans avant de paraître en français, grâce à la ténacité de Sarah Davies Cordova. Après avoir longtemps cherché un.e traducteur.trice, Sarah Davies Cordova décide de le traduire elle-même puis le présente à l’éditeur canadien d’origine haïtienne Rodney Saint Eloi (que nous recevrons en octobre !) connaissant le catalogue de sa maison d’édition Mémoire d’encrier. Le texte paraît d’abord au Québec, puis en Belgique et en France en août 2020, malgré les efforts de la maison d’édition, il passe inaperçu.

Invitée au festival Atlantide et à VoVf, à la Bulac et à la librairie Callypso à Paris, Sindiwe Magona, apprécie d’aller à la rencontre du public en France.

Interrogée par la journaliste Eléonore Bassop, elle explique n’avoir pas osé prévenir la famille de son projet d’écriture. « Quand le livre était prêt à être publié, j’ai rencontré les Biehl, je leur ai donné mes premiers livres et laissé un exemplaire de Mère à mère, puis j’ai fui». Lorsque Peter Biehl la rappelle, elle a « le cœur dans les talons ». Mais celui-ci plébiscite le livre et demande qu’il soit publié à la date anniversaire de la mort de sa fille. Linda, elle, attendra un an avant de pouvoir le lire.  Mais une fois sa lecture achevée, elle prendra l’écrivaine dans les bras, prononçant les mots que Sindiwe Magona espérait entendre «It helps me to understand better»

Son prochain livre « When the village sleeps » fait écho au célèbre dicton africain « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Sindiwe, avec malice et gravité, pose la question de savoir ce qu’il advient « si le village dort ». Réponse dans cet opus qui sera peut-être, sans doute, on le souhaite et l’espère, traduit par Sarah Davies Cordova dont la vie est désormais indissociable de celle de l’auteure et de son œuvre.

 

* La commission Vérité et réconciliation concerne les crimes et les exactions politiques commis au nom du gouvernement sud-africain mais aussi les crimes et exactions commis au nom des mouvements de libération nationale.
Bibiographie :
1990 : To My Children’s Children1 ;
Première partie de son autobiographie, To My Children’s Children (Pour les enfants de mes enfants)1, édité en 1990, elle est écrite comme une lettre d’une grand-mère xhosa à ses petits-enfants et tente de transmettre l’Histoire à travers les générations. Ce livre traite des trente-trois premières années de sa vie, évoquant le passage d’une vie idyllique dans le Transkei rural à la difficulté de la vie sous l’apartheid dans un township, mais aussi de sa détermination et finalement de sa réussite5. Elle le traduit en Xhosa sous le titre Kubantwana babantwana bam en 1995. (Source wiki)
  • 1991 : Living, Loving and Lying Awake at Night24 ;
  • 1992 : Forced to Grow2 : Seconde partie de son autobiographie, éditée en 1992, elle débute après le départ de son mari et parle de sa lutte en tant que jeune professeure, son implication en tant qu’activiste dans les mouvements féministes et de sa vie de mère célibataire, élevant trois enfants, durant les révoltes étudiantes des années 1970, ainsi que de ses aller-retours éprouvants entre l’Afrique du Sud et New York. (Source wiki)·
  • 1996 : Push Push25 ;
  • 1998 : Mother to Mother3 ; Mère à mère
  • 2006 : The Best Meal Ever!1 ;
  • 2008 : Beauty’s Gift26 ;
  • 2009 : Please, Take Photographs14 ;
  • 2014 : The Woman on the Moon3.
  • 2021 : When the village sleeps
Sindiwe Magona (au centre) à Gif-sur-Yvette en juin dernier, avec sa traductrice Sarah Davies Cordova (à droite), interviewées par Eléonore Bassop