Entre thriller et drame psychologique, ce roman dépeint à la fois l’Islande des années 1990 et le New York contemporain. Edda, jeune femme islandaise, disparaît peu après son accouchement, abandonnant son mari et leur bébé. Son demi-frère Einar part alors à sa recherche à New York. Le livre aborde le thème de la famille et des liens qui unissent les personnages, mais aussi de l’hyperlexie et de la dyslexie. Son traducteur Éric Boury revient sur son parcours. Il nous raconte comment il a découvert la culture islandaise et évoque son métier de traducteur.

Comment êtes-vous devenu traducteur ?

On ne devient pas traducteur du jour au lendemain d’une langue comme l’islandais. Il y a environ 350 000 personnes qui la parlent, en tout cas en Islande. J’ai fait un DEA avec Régis Boyer, qui était professeur de langues, littératures et civilisations nordiques à la Sorbonne. Dans ce cadre, j’ai dû traduire des morceaux d’œuvres littéraires et il m’a conseillé de devenir traducteur. À l’époque, j’étais enseignant, et je ne me voyais tout simplement pas traduire des livres. Finalement Régis Boyer ainsi que Marc de Gouvenain, éditeur chez Actes Sud ont beaucoup insisté pour que je traduise un premier livre. Depuis, j’en ai traduit une soixantaine.

Comment avez-vous découvert la langue islandaise ?

Au départ, je vivais dans un coin reculé du Berry. J’avais dû voir des reportages sur l’Islande et la Norvège vers la fin des années 1970 et le début des années 1980. J’avais été fasciné par les images et cela m’avait fait rêver.

Combien de temps avez-vous vécu en Islande ?

J’y ai séjourné deux ans vers l’âge de vingt ans et j’y suis retourné un an une quinzaine d’années plus tard. Avoir vécu dans le pays, c’est mieux, pour être un bon traducteur, même si ce n’est pas obligatoire. Cela fait maintenant plus de 30 ans que je pratique la langue. Je connais très bien la culture islandaise, l’histoire, les modes de vie et de fonctionnement. Quand on n’a pas vécu dans le pays, on est obligé de faire encore plus de recherches sur la culture.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier de traducteur ?

En fait, tout. Le seul côté déplaisant, c’est qu’on est assis devant son ordinateur pendant dix à douze heures par jour. Mais à chaque fois qu’on traduit un nouveau livre, on entre dans un univers, une nouvelle histoire. On est un voyageur immobile. Le côté sédentaire est donc largement compensé par le fait de découvrir des textes, de donner une voix française à des auteurs. C’est aussi un métier qui permet de faire de très belles rencontres. J’ai traduit 60 livres avec quatre ou cinq éditeurs ou éditrices différent.e.s qui sont devenus des amis.

Fréquentez-vous les festivals ?

Oui, j’y vais régulièrement. De manière générale, je suis souvent invité à venir avec mes auteurs pour faire de l’interprétariat. Un festival, c’est fatigant mais ça nourrit tellement. Et cela fait partie du travail de traduction. Je suis par ailleurs venu deux fois au festival VO/VF, traduire le monde, dont le principe est d’inviter les traducteurs.trices. J’aime le cadre apaisant de cette charmante petite ville d’Île de France, et on y fait des rencontres plus qu’agréables pendant ou en dehors des débats ou tables rondes. VO/VF est pour moi et pour beaucoup de mes collègues et amis un rendez-vous immanquable !

Traduisez-vous uniquement des romans ?

À 98 %, oui. Dernièrement, j’ai traduit un script de film, pour une amie anglaise qui vit en Islande. Elle en avait besoin pour demander une subvention. Je ne fais pas de traduction technique ou d’autres choses comme ça. Je ne suis pas en manque de travail car nous ne sommes que quelques-uns à traduire l’islandais en France.

La lectrice disparue n’est pas votre première traduction de Sigríður Hagalín Björnsdóttir. Êtes-vous son “traducteur officiel” en France ?

Il n’y a pas de “traducteur officiel”. La plupart du temps, si ça se passe bien entre un éditeur et un traducteur, l’éditeur a intérêt à garder la même personne pour l’ensemble des livres d’un auteur afin de garder une unité de style. Là, c’est le deuxième livre de Sigríður Hagalín Björnsdóttir, après L’Île. Cet ouvrage a été découvert par les deux éditrices à la tête des éditions Gaïa il n’y a encore pas si longtemps, Suzanne Juul et Évelyne Lagrange. Alors que j’étais en vacances, Suzanne m’a demandé de lire L’île en urgence. Je l’ai terminé en une journée tellement il était passionnant. J’ai leur ai conseillé de l’éditer, et puis elles ont  publié La Lectrice disparue.

Avez-vous échangé avec Sigríður Hagalín Björnsdóttir avant ou pendant la traduction du livre ?

Oui, et nous sommes même devenus amis. En fait, lorsqu’un livre est très bien écrit, on a très peu de questions à poser à l’auteur. Cela dit, les interrogations peuvent être nombreuses, notamment sur les personnages.

La traduction de ce livre a-t-elle nécessité des recherches particulières ?

Oui, j’ai dû faire des recherches sur la dyslexie, l’hyperlexie et l’alexie, abordées dans le livre. J’en ai fait également sur le fonctionnement du cerveau. On ne connaît pas forcément tous les mots dans sa langue native, donc on est bien obligé de vérifier comment certaines choses se disent. En fait, l’islandais fonctionne beaucoup par analogie et refuse, surtout à l’écrit, tous les termes étrangers. Cela rend les choses à la fois simples et compliquées. Par exemple, en anglais la psychologie se dit “psychology”, en allemand “Psychologie”, et en islandais “sálfræði”, c’est-à-dire la science de l’âme. Mais parfois, en islandais, on va utiliser ce même mot – par abus de langage – pour parler de la psychanalyse. On est donc obligé de vérifier à chaque fois. Autre exemple : un “char d’assaut” en islandais se dit “dragon rampant”. Toute la langue fonctionne comme cela, avec des vieux mots nordiques que l’on réactualise, et dont on se sert pour décrire les nouveautés technologiques.

Pour conclure, si vous deviez donner un conseil à un futur traducteur de l’islandais, que lui diriez-vous ?

Le seul conseil que je peux donner, c’est : courage ! Pas forcément à cause de la situation actuelle mais parce qu’il faut du courage pour vivre et pour travailler. Il faut apprendre la langue, c’est beaucoup de travail. C’est un conseil que je donnerais à tout le monde. Karen Blixen, écrivaine danoise du XXe siècle, a dit : « Il faut du courage pour vivre », et c’est la réalité. Et en tant que femme écrivaine dans les années 1930 à 1960, elle savait de quoi elle parlait.

Entretien mené par Garance Moulon.

Cette publication s’inscrit dans le cadre d’un Projet de Recherche Appliquée, de 4 étudiants en Master 1 Communication interculturelle et traduction de l’ISIT afin de donner le goût de lire à un large public et mettre en valeur le travail des traducteurs, garants de la circulation des livres et des idées, des cultures et des savoirs.

La Lectrice disparue de Sigríður Hagalín Björnsdóttir, traduit de l’islandais par Éric Boury, éditions Gaïa, date de parution : 4 novembre 2020. 352 pages / 140 x 190 mm. 22,50 euros ttc