C’est l’histoire d’un enfant fou de musique que raconte Bruno Monsaingeon, violoniste réputé pour ses films musicaux, biographe et ami de Glenn Gould, dont il a traduit les écrits et que nous aurons le plaisir et l’honneur d’accueillir cette année au festival VoVf, traduire le monde, dimanche 3 octobre 2021. A vos agendas !

 

 

Bruno Monsaingeon

« A quatre, cinq ans, j’étais déjà fou de musique, je réclamais sans relâche un violon que je n’ai obtenu qu’à 12 ans. Sept ans d’attente, sept ans d’horreur ! », se rappelle Bruno Monsaingeon qui entre temps aura tourné avec les plus grands interprètes. Adolescent, le jeune musicien est aussi fasciné par la musicalité des langues, par la beauté de l’anglais qu’il apprend vers 11 ans en Angleterre « avec le souci d’acquérir l’accent d’Oxford » et en traduisant Shakespeare, mais aussi le russe appris après avoir rencontré dans sa loge le violoniste soviétique David Oïstrakh, en tournée en 1956 en Europe. « J’avais 9 ou 10 ans et je n’ai pu échanger un mot avec lui, mais j’ai compris qu’il me disait d’apprendre sa langue si je voulais lui parler ».

L’enfant passionné prend cette recommandation au pied de la lettre, ce qui l’amènera à tenter de traduire Guerre et Paix, comme en atteste une correspondance d’adolescents retrouvée par un ami 50 ans plus tard. « Tu ne parlais que de littérature et de musique », témoigne son correspondant à Bruno Monsaingeon dont le dernier livre Les Bémols de Staline. Conversations avec Guennadi Rojdestvensky est paru simultanément en Russie et en France, dans une auto-traduction (Fayard 2020). L’anglais, le russe, puis le bulgare, l’allemand, l’italien comptent parmi les langues qu’il a voulu faire siennes. « C’est de la paresse, je devrais en parler douze », estime-t-il à présent exprimant le regret de ne pas connaître l’hébreu et le hongrois.

Avec Yehudi Menuhin aux Buttes Chaumont en 1977

 

Lors d’une master class en Angleterre, le jeune Bruno Monsaingeon rencontre Yehudi Menuhin avec lequel il tournera plusieurs films par la suite (La série L’Europe orientale et le violon dans les années 70, puis des concerts filmés dans les années 80 et un portrait en 1995). Leur amitié durera toute une vie et ils entretiendront une correspondance jusqu’à la mort le 12 mars 1999 de Lord Menuhin. « La dernière lettre reçue est datée du 11 mars », la veille du la mort de cet ami qu’il ne craint pas d’appeler « son dieu », lui qui fut le prophète en Europe d’un autre génie, Glenn Gould.

En octobre 1971, après avoir produit une série hebdomadaire pour l’ORTF de 28 émissions d’une heure consacrée à un panorama de la musique de quatre pays européens et avec la volonté de contrer « l’effroyable banalité de la télévision », il écrit au génial pianiste canadien Glenn Gould qui ne lui répond que un an et demi plus tard, mais accepte sa proposition de film. Le réalisateur travaillera avec l’artiste en étroite collaboration de 1972 jusqu’en 1982, année de la mort de Glenn Gould, entretemps devenu une icône, des deux côtés de l’Atlantique.

Avec Glenn Gould à Toronto en 1979

 

Le génial interprète de Bach, Brahms, Schönberg, etc. qui avait renoncé à toute apparition en public en 1964 pour se consacrer aux enregistrements radiophoniques et discographiques, abhorrait la foule. « Un jour, ou plutôt une nuit où nous étions en tournage ensemble, un article est paru dans le NY Times lequel mentionnait qu’un film était tourné avec Glenn Gould à la CBS 30th East street » (le célèbre studio de la Columbia surnommé « The Church ». Ndr), « quand nous sommes sortis du studio à 4h du matin, une foule l’attendait, maintenue par un cordon de police », se souvient le réalisateur.

En France, à la même époque, Glenn Gould n’est connu que d’un petit cercle d’initiés avant de devenir immensément populaire, en une nuit, grâce à la diffusion « rocambolesque », selon l’expression de Bruno Monsaingeon, de ses premiers films sur Gould à la télévision. C’est en effet grâce à la grève de l’hiver 1974 à l’ORTF que son film dont la diffusion était prévue à 23h30, passe «en prime time », le samedi 30 novembre, «service minimum oblige » et pour éviter l’écran noir. Pour la première fois, les Français découvrent l’interprète canadien sur sa célèbre chaise en bois. « Le lundi, les magasins étaient dévalisés », se rappelle avec délectation Bruno Monsaingeon.

Avec Glenn Gould à Toronto en 1974

 

Après sa mort, Bruno Monsaingeon, aidé par une fidèle admiratrice du pianiste, Thérèse Salviat, rassemble les écrits de Gould, qu’il traduit, annote et commente. Les trois tomes seront publiées chez Fayard (Le dernier Puritain : Écrits I, Contrepoint à la ligne : Écrits II et Non, je ne suis pas du tout un excentrique)*, ainsi que 220 pages retrouvées et recopiées à la main par l’infatigable Thérèse Salviat, extraites d’un dossier de documents marqués « non accessibles » et conservés à la bibliothèque d’Otawa. Ces écrits seront publiés sous le titre Chroniques d’une crise, Glenn Gould y fait le récit de la crise qui le terrassa dans les années 77-78, une douleur à l’épaule qui l’empêche de jouer et qu’il analyse, dissèque, décrit minutieusement peut-être pour conjurer le mal. « C’est un journal écrit pour être lu, pour que l’on comprenne son rapport au piano », assure Bruno Monsaingeon qui l’a traduit et annoté.

Cette activité littéraire et de témoignage menée en plus de sa carrière de violoniste et de son travail de transcription n’est pas sans résonance avec le geste de traduire, transmettre, partager, permettre d’aborder d’autres rivages. Le film Glenn Gould au delà du temps, dernier film consacré au pianiste par Bruno Monsaingeon sera projeté en amont de la rencontre à VoVf. « J’ai adapté ses écrits pour le film, les spectateurs anglophones croient que c’est Glenn Gould qui raconte son histoire », se réjouit Bruno Monsaingeon qui a auditionné plus de 150 comédiens britanniques pour la version anglaise afin de trouver l’accent, le phrasé et la cadence adéquats. En français, c’est la voix de Mathieu Almaric qui a été choisie pour porter les mots de Glenn Gould. Bruno Monsaingeon a également assuré le sous-titrage, avec rigueur mais aussi la liberté de celui qui parle sur la bande son et peut donc s’autoriser à traduire « I’am glad to hear that » par un simple « ouf ! ».

Claire Darfeuille

Rencontre dimanche 3 octobre à 14h avec Bruno Monsaingeon, projection d’un extrait du film L’Alchimiste et projection au Cinéma Central de Gif du film Glenn Gould : Au-delà du temps.

* « Glenn Gould, contrepoint à la ligne et autres écrits » (Robert Laffont, collection Bouquins, 960 p. 32 €)