Le Romain Zerocalcare est un touche-à-tout engagé dans la politique, auteur de bande dessinée et réalisateur de série animée pour Netflix à ses heures perdues, il ne s’arrête jamais. Ses bandes dessinées sont ancrées dans un univers fictif, au cœur duquel il évolue, entouré de ses fidèles amis le Tatou et le Mammouth, animaux représentatifs de ses voix intérieures. Nous avons rencontré sa traductrice française pour obtenir ses conseils et découvrir son parcours de traductrice de bande dessinée et l’histoire de Kobane Calling.

Vous êtes devenue, dans une certaine mesure, la traductrice officielle de Zerocalcare en français. Comment en êtes-vous arrivée à traduire ses bandes dessinées ?

J’habitais à Rome au moment où il a commencé à publier ses bandes dessinées en 2011. Avant ça, il était connu dans mon milieu, un milieu militant de gauche romain pour lequel il faisait des affiches politiques. Je l’avais repéré, car dans un milieu qui fait l’apologie de la force, du masculin, de la virilité, il créait des affiches avec des femmes, des fillettes, des personnes âgées et notamment des femmes guerrières, des femmes résistantes. Ça m’avait marquée. Lors de l’occupation d’un cinéma, sa bande dessinée La Prophétie du Tatou, avait été photocopiée et collée sur les murs, je l’ai lue en pensant « Mais c’est génial ! ». Il raconte la perte de son amour de jeunesse, comment vivre avec ce deuil et comment l’annoncer à ses proches. Je l’ignorais mais cet album était sorti en autoproduction. Je connaissais son œuvre et j’ai fini par le rencontrer parce que nous évoluions dans le même cercle et que nous avions beaucoup de points communs.

La traduction était un de ces points communs ?

Nous avions tous les deux de l’expérience en sous-titrage, on s’est vus une fois. J’ai suivi une formation de professionnalisation à la traduction littéraire organisée par ATLAS, « La fabrique des traducteurs ». Pendant cette formation nous nous sommes posé la question : « Qu’est-ce que vous rêvez de traduire ? ». Deux idées évidentes se sont présentées : Ascanio Celistini, qui avait déjà un traducteur, et Zerocalcare.Ma copine de l’époque m’a dit « Ne lâche pas, suis ton rêve ». Je n’y croyais pas trop. J’ai décidé de faire ce à quoi on ne pense pas toujours mais que je conseille : contacter l’éditeur italien. Il avait vendu les droits de Kobane Calling à l’éditeur français Cambourakis, que j’ai contacté. Bien qu’ils aient déjà un traducteur pour l’italien, ils m’ont laissée faire un essai. La chance m’a souri, la personne qui les avait convaincus d’acheter les droits était italienne et savait qu’une réelle connaissance du romain et du milieu politique de l’auteur pouvait être un avantage. L’essai détermine tout, c’est de la chance et beaucoup de persévérance. Tout se fait par liens et connaissances. La traduction est une discipline solitaire mais aussi très collective.

L’auteur parle aussi français. Vous a-t-il aidée pendant ou après la traduction ?

Travailler avec un auteur qui parle la langue de la traduction peut être difficile : il a des idées précises qui ne correspondent pas à ce qui se dit vraiment. Lui, non. Il me faisait complètement confiance puisqu’il savait de quel milieu je venais. Cela l’a rassuré que je sache très bien de quoi il parlait. C’est un peu l’auteur idéal. Pour Kobane Calling il a répondu à mes questions, surtout pour le glossaire. Je n’ai pas voulu le faire sans son accord. J’ai insisté pour qu’il le relise.

Quelle bande dessinée avez-vous préféré traduire et pourquoi ?

Rien n’est comparable à la première bande dessinée. Rien n’est comme Kobane Calling. Je revenais de Rome après 10 ans, j’étais follement nostalgique et tout le langage me rappelait Rome. Le glossaire n’en est pas vraiment un, c’est une déclaration d’amour à Rome, à la romanité et aux romains. C’était très excitant et effrayant. Son écriture est tellement drôle ! Je me suis dit que je n’allais jamais réussir à y rendre grâce.J’ai adoré Oublie mon nom, c’est sûrement l’album qui m’a le plus touchée. Ce que j’aime chez Zerocalcare, ce sont les registres et les rythmes d’écriture employés en fonction des dialogues, des voix-off. Le travail de recherche nécessaire pour comprendre comment bien traduire est particulièrement intéressant. Paradoxalement, l’album sur les zombies, qui n’est sans doute pas son meilleur, était drôle à traduire, pour les jeux de mots, les blagues. Tout dépend du niveau et du type de difficultés, et s’il est amusant de les résoudre. Les textes les plus amusants à traduire ne donnent pas toujours la meilleure histoire par la suite.

Vous avez mentionné Kobane Calling, pourriez-vous préciser pourquoi elle est si différente des autres bandes dessinées de Zerocalcare ?

Elle est complètement différente, d’ailleurs c’est un grand malentendu avec le public français. Au moment de la publication, Zerocalcare est déjà connu et écrit régulièrement pour un journal, L’Internazionale. Évidemment, Kobane Calling augmente énormément sa notoriété. Mais surtout, cet album est le seul qui soit un documentaire. C’est cet album qui l’a rendu célèbre en France et on l’a rangé dans cette catégorie. Il l’a écrit en tant que militant de la cause Kurde. Depuis longtemps, il allait à des réunions, il connaissait des gens et on lui avait proposé de partir en Syrie, à Kobane. C’est une façon de faire connaître cette cause à laquelle il tient.Les autres albums sont plus intimes, personnels, je les trouve politiques. J’adore sa manière d’expliquer des situations politiques ou historiques de façon légère et précise. J’étais inquiète à l’idée de restituer cette histoire. J’ai beaucoup lu ne serait-ce que pour savoir comment les Kurdes comment sont les maisons, les lieux, quels sont les termes de guerre, etc. Un ami kurde a tout relu. Le traducteur ne peut pas tout savoir.

Vous avez aussi fait du sous-titrage. Quelles-sont les différences ou les similitudes avec la traduction de bandes dessinées ?

Les particularités de l’écriture de Zerocalcare, car c’est une écriture, ce sont ces longues phrases avec de nombreuses occurrences d’une « voix-off » qui correspond à ce qui est écrit à l’extérieur des bulles. Par moment, on peut trouver des pages entières de récit, il n’y a pas que du dialogue. Ce n’est pas le cas de tous les albums.Le point commun entre la traduction de bande dessinée et le sous-titrage réside dans le processus de synthèse. Il s’agit d’une contrainte supplémentaire par rapport au roman. Quand on traduit, on passe du temps pour aller à l’essentiel comme dans l’écriture, le mouvement est le même, il faut vérifier qu’il n’y ait rien de superflu. Je ne sais plus qui disait :« On a terminé d’écrire quand on a enlevé tout ce qu’on pouvait enlever ».Le sous-titrage est soumis à la contrainte du temps, la bande dessinée à celle de l’espace. L’élément qui compte le plus dans le sous-titrage, c’est le temps que les gens ont pour lire. Avec la bande dessinée, les gens peuvent passer beaucoup de temps sur une phrase complexe, ils peuvent s’arrêter, la relire. Le problème de l’espace est factuel et lié à la langue dans laquelle on traduit. Le français prend plus de place que l’italien du fait de la construction de ses phrases. Il est plus compliqué de séparer les mots. En italien tout est plus compact. Il ne faut pas seulement faire court, il faut aussi réussir à agencer le texte dans des bulles. 

Comment avez-vous abordé le travail de mise en page propre à la bande dessinée ?

 Lors de ma première traduction, j’essayais de respecter la taille des bulles. Quand on reçoit une traduction de bande dessinée, le texte est déjà mis en bulle. Contrairement à un texte classique, on ne peut pas directement comparer la longueur comme avec des lignes. Si la traduction est plus longue, sans effort de synthétisation, il y aura trop de texte dans une bulle. Le graphiste peut réduire la police mais chez Zerocalcare, typiquement, la taille indique une variation sonore. La réduction du texte dans la bulle fausse le message. La mise en page va au-delà du confort de lecture, une mauvaise mise en page peut devenir un faux sens. Il y a eu un gros travail de réharmonisation une fois la mise en bulle achevée. Parfois cela ne colle pas, une phrase divisée sur quatre bulles en italien devient un défi en français. On a beau avoir trouvé une traduction parfaite, si elle n’est pas divisible en quatre bulles il va falloir en trouver une autre. Mais il y a aussi des avantages. Il m’est déjà arrivé que l’on me dise :« Ce n’est pas très clair, de quoi parle-t-il ? ». Pour des traductions littéraires il faut être très précis, car la langue de départ offre une pensée très claire, alors que pour une bande dessinée ça n’est pas forcément nécessaire. L’image est là pour ça.

Par Coline Héloire

Cette publication s’inscrit dans le cadre d’un Projet de Recherche Appliquée, de 4 étudiants en Master 1 Communication interculturelle et traduction de l’ISIT afin de donner le goût de lire à un large public et mettre en valeur le travail des traducteurs, garants de la circulation des livres et des idées, des cultures et des savoirs.